La Suisse de 1848. Diversité et unité en images

Constitution fédérale de la Confédération suisse de 1848

La Constitution fédérale en texte et en images

Après la dissolution du Sonderbund, par la force des armes, une commission s’attelle à la réforme du Pacte fédéral. Il lui faut peu de temps, après sa première réunion, pour rédiger le texte de la nouvelle Constitution fédérale. Le 12 septembre 1848, la Diète(assemblée des députés de tous les cantons) adopte cette première Constitution comme loi fondamentale de la Confédération. Ainsi, en moins d’une année, l’ancien Pacte fédéral de 1815 a été aboli et la Confédération suisse est devenue une démocratie.

Qu’il s’agisse ici d’une affiche de proclamation ou d’une feuille commémorative, l’association établie entre la figuration allégorique de la Constitution fédérale sur la lithographie et le texte intégral qui en est imprimé en dessous est un moyen habile de nous impliquer dans l’image, nous qui regardons le texte. 

Cette première Constitution marque l’avènement de la forme d’État que nous connaissons actuellement en Suisse. Elle n’est toutefois restée que vingt-six ans en vigueur, jusqu’à sa révision complète en 1874.

Constitution fédérale de 1848 (détail)

Helvetia, mère de la Confédération

L’image exprime de manière très explicite le principe égalitaire de la première Constitution fédérale : tous les personnages (uniquement des hommes), représentants de l’armée et de différents corps de métier, sont sur un même niveau. En tant que souverain du jeune État fédéral, ils rendent honneur à Helvetia, personnification de la Suisse, placée plus haut. Elle-même est couronnée de lauriers par une autre figure allégorique. Siégeant à sa place d’honneur, Helvetia présente la nouvelle Constitution concrétisée sous forme écrite. En étant assise sur un lion endormi et tenant un faisceau de licteur, elle symbolise son rôle pacificateur. L’entrée en vigueur de la Constitution fédérale, obtenue avec l’aide du Ciel, est claironnée dans tout le pays.

Tous les Suisses sont égaux devant la loi. Il n’y a en Suisse ni sujets, ni privilèges de lieux, de naissance, de personnes ou de familles. 

Constitution fédérale (1848), art. 4

Combat de Lunnern

La guerre du Sonderbund, 1847

Le Pacte fédéral de 1815 est jusqu’en 1848 la loi fondamentale de la Confédération suisse – appelée ainsi pour la première fois. Durant cette période, c’est la Diète fédérale qui traite les affaires communes et prend les décisions. Une opposition naît bientôt entre les cantons libéraux-radicaux, majoritairement protestants, d’une part, et les cantons conservateurs, majoritairement catholiques, d’autre part. En décembre 1845, sept cantons catholiques concluent à Lucerne une alliance séparée (Sonderbund). En 1847, après que la Diète a ordonné la dissolution du Sonderbund, les deux camps mobilisent leurs troupes. C’est la guerre civile.

L’affrontement représenté ici, la bataille de Lunnern, au bord de la Reuss, a lieu le 12 novembre 1847, dans la première phase de la guerre du Sonderbund. Cette bataille fait suite à une opération militaire du Sonderbund contre le Freiamt, dans le prolongement de l’affaire dite des couvents d’Argovie. Les batailles de Gisikon et de Meierskappel, le 23 novembre 1847, marquent la victoire définitive de la majorité réformée libérale sur les séparatistes catholiques conservateurs.

Monsieur le capitaine Scheller avait entre-temps fait placer les deux canons dans une ligne de tir nettement plus avantageuse. Il était entièrement favorable à l’idée qu’il fallait détruire le pont avant que l’ennemi n’ait pu atteindre la Reuss. 

Johannes Wyss (s.d.), Das Gefecht bei Lunnern oder meine militärischen Erinnerungen(La bataille de Lunnern ou mes souvenirs militaires), non pag.

La dernière réunion de la Diète, le 29 octobre 1847

La Diète d’octobre 1847

Cette gravure est à la fois une liste des participants et un souvenir de la réunion de la Diète où les députés du Sonderbund ont quitté la salle. La guerre sera déclenchée peu après, en novembre. Les messieurs élégamment habillés présents à la réunion de la Diète en octobre 1847 sont nommés dans une liste numérotée. Plusieurs sont engagés dans une vive discussion, d’autres lisent ou écrivent. Certains semblent nous regarder directement. L’image donne une impression de l’événement tel qu’il a pu se dérouler. Si les visages, même au sein du groupe, sont parfaitement identifiables, cela est notamment dû à la technique de la xylogravure, généralement utilisée pour les livres illustrés. Elle permet de tirer à peu de frais un grand nombre d’exemplaires sans perte de qualité. Eduard Kretzschmar, artiste et éditeur établi à Leipzig, a ainsi facilité la compréhension d’un événement important de l’histoire suisse pour un large public, peut-être même au-delà des frontières nationales.

Caricature

Les valeurs fondamentales de la Suisse

Sur cette gravure de 1840 environ, truffée d’allusions à des questions d’actualité brûlante, un objet attire immédiatement l’attention : la lanterne magique, qui, dans une salle bien remplie, projette contre la paroi des mots exprimant les valeurs du libéralisme, apportant ainsi – au sens figuré – la lumière dans les ténèbres. Un homme à tête d’autruche s’efforce d’enseigner à un groupe de gens issus des milieux sociaux les plus divers les éléments qui doivent fonder la nouvelle Constitution fédérale : « souveraineté du peuple, liberté de la presse, nationalité, … », telles sont les exigences formulées. L’homme à tête d’oiseau est sans doute une allusion au théologien libéral David Friedrich Strauss (dont le nom signifie « autruche »), à l’origine de l’affaire qui porte son nom et du putsch de Zurich, lors duquel, en 1839, les conservateurs ont renversé le gouvernement libéral.

Cette caricature est typique de l’époque de la Régénération, qui grâce aux bouleversements libéraux voit s’instaurer dans plusieurs cantons la liberté de la presse. Celle-ci, ajoutée à la technique de la lithographie, sont les conditions qui permettent l’exercice public de la critique sociale, ainsi que sa large diffusion.

La liberté de la presse est garantie. 

Constitution fédérale (1848), art. 45

La Confédération suisse

Vingt-deux cantons

Avant 1848, il n’est pas du tout facile de représenter en image la « Confédération suisse ». Les vingt-deux cantons autonomes qui la composent sont liés par une alliance. La diversité est une caractéristique attrayante, mais il s’agit aussi de montrer une Suisse unie, notamment lorsque l’attention se porte sur le regard touristique.

Cette lithographie délicatement coloriée relie les vingt-deux blasons cantonaux à des médaillons à figures de femmes portant le costume du canton en question et à des vues pittoresques de chacun des chefs-lieux. Encadrés par des idylles de genre qui dans les quatre coins montrent des produits des manufactures suisses, ils forment un cercle autour du thème central, le serment du Grütli, rappel symbolique des origines de la Confédération. Les tableaux d’information sur les divers cantons évoquent l’intérêt croissant que l’on prend alors à la statistique, qui joue aussi un rôle de représentation.

Les peuples des vingt-deux Cantons souverains de la Suisse, unis par la présente alliance, […] forment dans leur ensemble la confédération suisse.

Constitution fédérale (1848), art. 1

Chapelle de Tell, le jour de la fête annuelle

L’histoire qui se raconte

Dans la Suisse du XIXe siècle, l’histoire des réalités politiques cohabite avec le culte du mythe fondateur. La légende de Guillaume Tell est étroitement associée à la naissance de la tradition sur les débuts de la Confédération.

Selon la légende, Tell parvient à échapper au bailli Gessler en gagnant d’un bond une dalle rocheuse sur le bord du lac d’Uri. C’est en mémoire de l’événement qu’une chapelle de Tell a été construite à l’endroit supposé, près de Sisikon. Elle est depuis 1561 un but de pèlerinage, que représente cette aquatinte coloriée de Johann Hürlimann, d’après Gabriel Mathias Lory. Chaque année, le vendredi après l’Ascension, les gens s’y rendent en bateau pour entendre un sermon solennel en mémoire de Guillaume Tell. Lieu auréolé de légende, la chapelle de Tell deviendra au cours des siècles une curiosité nationale et un monument patriotique.

Vue d'intérieur de la chapelle de Tell au lac des Quatre-Cantons

Un mythe national

Les mythes des luttes de libération ont marqué l’idée que la Suisse se fait d’elle-même et de son histoire. Sur une aquatinte éditée par Johann Peter Lamy d’après une aquarelle de Johann Jakob Meyer est représenté le riche décor peint des parois et des voûtes de la chapelle de Tell. Ces fresques peintes en 1719 par Karl Leonz Püntener montrent diverses scènes de l’histoire du héros. De l’autre côté du lac, on voit la prairie du Grütli, dont le récit légendaire a fait le lieu de la rencontre secrète et du serment des trois Suisses s’unissant dans la lutte contre les baillis habsbourgeois.

Enthousiasmés par le drame de Friedrich Schiller, Guillaume Tell, paru en 1804, de nombreux touristes et curieux, tout au long du XIXe siècle, viennent voir ce lac mythique de la Suisse centrale et visitent les lieux commémoratifs liés à l’histoire de Tell. La région du lac des Quatre-Cantons est élevée au rang de paysage national idéal et de « berceau de la Suisse ».

Ce n'est pas une nouvelle alliance, que nous voulons conclure; nous voulons renouveler l'antique union formée du temps de nos pères. Vous le savez, confédérés, bien que chacun se gouverne par ses lois propres, nous sommes tous de la même race et du même sang, et nous sommes tous originaires de la même patrie.

Friedrich Schiller (1804), Guillaume Tell, acte II, scène II

 
Constitution fédérale de la Confédération suisse

La fierté nationale

Cette mise en scène graphique de la Constitution fédérale a été personnellement dédicacée en 1850 au Conseil fédéral par son auteur, l’artiste soleurois Lorenz Lüthy. Le texte est inscrit dans une sorte d’écu flanqué de deux colonnes courbées ornées des blasons des cantons, soigneusement coloriés. Ces colonnes soutiennent symboliquement la « Constitution fédérale » de la « Confédération suisse » ; au-dessus de celle-ci émerge une croix suisse rayonnante comme le soleil à l’aube. Dans le ciel trône Helvetia, entourée de deux héros nationaux, Guillaume Tell et Arnold Winkelried.

La feuille est d’une dimension peu commune qui n’est pas manifeste au premier coup d’œil. Mais pour un dessin à la plume, avec un long texte copié entièrement à la main, un format de 85 x 65 cm est considérable. Ce qui est littéralement au centre prend une très grande place tout en étant relégué à l’arrière-plan par un cadre au dessin riche en contrastes.

La gamme des cantons confédérés

L’épreuve de force politique

Ce qui a l’air d’une innocente mélodie se révèle être, si l’on regarde de près, une sorte de charivari. La « gamme des cantons » les montre dans l’ordre chronologique de leur entrée dans la Confédération (cantons et demi-cantons). La hauteur de chaque ton indique l’orientation politique : plus un canton est conservateur, plus la note est basse ; plus il est libéral, plus la note est élevée. Divers attributs visent des foyers de troubles. La chapelle dans la main de l’Argovien fait allusion à l’affaire des couvents d’Argovie, la couronne du Neuchâtelois à la souveraineté du royaume de Prusse sur Neuchâtel jusqu’en 1848.

Figure importante de l’art de la caricature du XIXe siècle, Heinrich von Arx, dans cette mélodie désordonnée, fait allusion aux discordances politiques. Avec ironie, mais aussi esprit de conciliation, il y ajoute un extrait d’une chanson populaire de l’époque : « Wir sitzen so fröhlich beisammen » (« C’est notre joie d’être réunis »), qui montre qu’en 1848, les cantons, malgré leurs divergences, sont prêts à se regrouper en un État fédéral.  

Salut à la nation en souvenir de l'adoption de la nouvelle Constitution fédérale de la Suisse

Salut à la nation

Cette feuille souvenir contient un hymne à la gloire de la toute jeune Confédération. Son auteur est le Zurichois Johann Jakob Leuthy, connu aussi pour avoir été l’un des premiers défenseurs des droits des femmes en Suisse. Cet hymne de dix strophes célèbre l’adoption de la nouvelle Constitution fédérale comme une « heure de gloire », tout en rappelant que la construction de l’État fédéral n’a pu se faire qu’au prix d’un affrontement armé (la guerre du Sonderbund). C’est ce qu’illustrent les armes, le bouclier et les étendards dans le médaillon central. Le texte est bordé des armoiries des vingt-deux cantons. La croix suisse est flanquée des deux héros nationaux garants de la liberté du pays, Arnold Winkelried et Guillaume Tell.  

Entrez donc dans la ronde, jurez fidélité, à la nouvelle alliance. Vive notre patrie !

Portrait collectif des membres du Conseil national, 1849-1850

Le premier Conseil national

La Constitution fédérale de 1848 définit les autorités qui, à l’intérieur du nouvel État, représentent chacun des pouvoirs. Le Conseil national, élu directement par les citoyens suisses (de sexe masculin), représente donc l’ensemble de la population et la volonté du peuple. La première Constitution fixe à 111 le nombre de représentants du peuple. Leur élection a lieu, dans les cantons, au cours du mois d’octobre 1848. La durée du mandat est de trois ans (elle ne sera augmentée à quatre ans qu’en 1931). Les ecclésiastiques ne sont pas éligibles. L’effectif du Conseil national correspondant à un vingt-millième des Suisses et Suissesses et des personnes naturalisées, la croissance démographique obligera en 1962 à fixer une limite à deux cents membres.

La part féminine de la population doit attendre longtemps pour pouvoir se faire entendre au Conseil national. En 1971, dix femmes sont élues directement, puis deux entrent ultérieurement en cours de législature. En 2023, dans la cinquante-et-unième législature, il y a 83 femmes au Conseil national, soit 41,5%.

Le Conseil national se compose des députés du Peuple suisse, élus à raison d'un membre par chaque 20,000 âmes de la population totale. 

Constitution fédérale (1848), art. 61

Portrait collectif des membres du Conseil national, 1849-1851

Un général dans le premier Conseil national

Un décret de la Diète ordonne aux représentants élus du peuple, venant de toutes les régions du pays, de se réunir à Berne le 6 novembre 1848. En ouverture de cette première assemblée du Conseil national et du Conseil des États est célébré un service religieux dans les deux confessions.

Parmi les membres du premier Conseil national siègent des personnalités en vue de l’économie, de l’administration et de l’armée. Guillaume Henri Dufour (numéro 23), premier général du nouvel État fédéral, défend au Conseil national la cause de la neutralité suisse. Son parti – les libéraux – ne détient pourtant qu’un dixième des sièges (onze). Le parti radical-démocratique, avec 79 sièges, a la majorité absolue. Le gouvernement (Conseil fédéral) est même entièrement aux mains des radicaux. 

Est éligible comme membre du Conseil national tout citoyen suisse laïque et ayant le droit de voter. 

Constitution fédérale (1848), art. 64

Portrait collectif du premier Conseil fédéral

Le premier Conseil fédéral

C’est seulement une fois constituée l’Assemblée fédérale (soit le Conseil national et le Conseil des États) que peut être élu le Conseil fédéral, le 16 novembre 1848. Cet organe exécutif suprême se compose de sept membres qui doivent aussi représenter les régions de la Confédération, selon un équilibre scrupuleusement respecté. Ainsi le Conseil fédéral de 1848 est-il présidé par le Zurichois Jonas Furrer, chef du Département politique ; le Vaudois Henri Druey est en charge du Département de justice et police ; le Bernois Ulrich Ochsenbein est à la tête du Département militaire ; l’Argovien Friedrich Frey-Herosé dirige le Département du commerce et des douanes ; le Saint-Gallois Mathias Näff, le Département des postes ; le Tessinois Stefano Franscini, le Département de l’intérieur ; et le Soleurois Josef Munzinger, le Département des finances. On remarque qu’en 1848, il n’y a pas de conseiller fédéral en charge des affaires étrangères : les relations avec les autres États – dans le respect de la neutralité et de l’indépendance – sont gérées par le Département politique.

L’autorité directoriale et exécutive supérieure de la Confédération est exercée par un Conseil fédéral composé de sept membres. 

Constitution fédérale (1848), art. 83

Stammbaum der Schweizerischen Eidgenossenschaft, Digitale Rekonstruktion, 2023

L’arbre généalogique de la Suisse

Vers 1869, Josef Brunner, de Horw (Lucerne), illustre par un dessin complexe l’évolution qui a abouti à l’État fédéral de 1848. Cet « arbre généalogique de la Confédération suisse » est accompagné d’une brochure de 99 pages où il explique très en détail les messages contenus dans l’image. L’État fédéral tire selon lui son origine des « Waldstätten» Uri, Schwytz et Unterwald, qui forment la racine du tronc vigoureux de l’histoire suisse. La grandiose frondaison du nouvel État se déploie ainsi avec l’adoption de la Constitution fédérale de 1848. Pour Brunner, des vertus comme la loyauté, le courage et la « capacité de résistance », de même que la volonté de progrès et d’instruction caractérisent le nouvel État et conduisent à la liberté.

Le visage de l’État fédéral

Dans la frondaison sont répartis les portraits des principaux hommes d’État de l’époque. On voit ainsi qui détient le pouvoir dans la nouvelle Suisse : la classe moyenne bourgeoise, les élites cultivées et les milieux de la finance, tous d’ailleurs liés entre eux par des liens politiques et économiques. Ils mènent de concert une politique orientée vers leurs intérêts et marquent ainsi l’évolution économique et sociale du pays. Il n’est encore guère question d’associer aux décisions d’autres couches sociales, ni en particulier les femmes. Plus encore : la dualité des sexes, quant à la participation aux décisions politiques, est inscrite dans la Constitution

La Confédération de 1848 est en revanche notre œuvre, façonnée légalement et adoptée par la majorité ; honorée de toute l’Europe ; elle a pour nous des effets salutaires : sa tête est un Conseil fédéral en harmonie avec l’ensemble du corps. Nos conseillers fédéraux sont élus conformément à la Constitution ; aucun d’eux n’a pu parvenir à sa charge par des manœuvres démagogiques : tous sont des hommes instruits et hautement respectables. 

Josef Brunner (1869), Begleitschreiben zu dem Bilde Stammbaum der Schweizerischen Eidgenossenschaft, p. 98.

Bild
Modèle de l’arbre généalogique de la Confédération suisse
Referenzbild
Page du texte accompagnant l’arbre généalogique avec des représentants de l’économie, de la science, de l’administration et du clergé
L’Hôtel de la monnaie à Berne

Le franc suisse

Dans chaque canton, il faut avoir une autre monnaie en poche : jusqu’au milieu du XIXe siècle, cette incommodité est une réalité. C’est en 1848 seulement que le nouvel État fédéral reprend aux cantons la régale monétaire qu’ils détenaient jusqu’alors. Deux ans plus tard est introduite une monnaie nationale uniforme. La Suisse n’ayant pas encore son propre hôtel des monnaies, les pièces doivent d’abord être frappées à l’étranger.

En 1853 est construit à Berne l’Hôtel fédéral des Monnaies, à l’emplacement de l’ancien atelier monétaire de 1790-1792, où se trouve aujourd’hui l’Hôtel Bellevue. Cette aquarelle de Jacques Henri Juillerat, de 1820 environ, montre cet imposant bâtiment néo-classique en bordure de la vieille ville, vu depuis le Schwellenmätteli.

La Confédération exerce tous les droits compris dans la régale des monnaies. Les Cantons cessent de battre monnaie ; le numéraire est frappé par la Confédération seule. 

Constitution fédérale (1848), art. 36

Col du Splügen avec le poste de douane

Un espace économique homogène

La Constitution fédérale de 1848 entraîne le transfert à la Confédération des compétences en matière de douanes, de monnaie et de postes, qui jusque-là relevaient des cantons. La réorganisation des douanes ne se fait pas sans frictions, car les péages représentaient une source de profit importante pour les cantons. Les douanes intérieures sont désormais abolies et les douanes extérieures uniformisées tout le long de la frontière nationale.

Le trafic de transit à travers les Alpes rapporte gros. Depuis très longtemps, on prélève des péages sur les cols, comme le Splügen par exemple. Au XIXe siècle, on renouvelle les infrastructures. Entre 1818 et 1823 est construite sur le col du Splügen une route carrossable pour les diligences de poste et les chariots de transport. En conséquence, le trafic de personnes et de marchandises augmente jusqu’au milieu des années 1850. Une première maison, avec poste de péage, est construite en 1841.

Ce qui concerne les péages (douanes) relève de la Confédération. 

Constitution fédérale (1848), art. 23

Nouvelle route menant au col du Saint-Gothard dans les Schöllenen

Travaux au Gothard

Cette aquarelle de Heinrich Triner montre un tronçon de la chaussée du Gothard, construite de 1828 à 1830 par Karl Emanuel Müller. Avec ses virages en épingle à cheveux au franchissement du défilé des Schöllenen, cet ouvrage d’art permet désormais de traverser plus rapidement le Gothard.

La Constitution de 1848 attribue à la Confédération la haute surveillance des routes et des ponts d’importance nationale. La route et le col du Gothard entrent pleinement dans cette catégorie. Depuis longtemps déjà, les chemins du Gothard font partie des récits mythiques sur la genèse et l’identité de la Confédération. Comme voie de franchissement des Alpes, la route du Gothard est d’une importance européenne. Dès 1869–1870, la Confédération négocie avec l’Italie et l’Allemagne un accord sur la construction du chemin de fer du Gothard. L’accord est finalement conclu en 1871.

La Confédération exerce la haute surveillance sur les routes et les ponts dont le maintien l’intéresse. 

Constitution fédérale (1848), art. 35

Vue de la première gare de Zürich. Pont sur la Sihl

La construction des chemins de fer

La construction des lignes de chemin de fer est retardée par des divergences quant à leur tracé et par les troubles du Sonderbund (1845–1847). Sur ce plan, la Suisse est en retard par rapport à d’autres États européens. C’est seulement le 7 août 1847 que la compagnie du Nord-Suisse inaugure la première ligne de chemin de fer de Suisse, reliant Zurich à Baden. Ce train – que l’on voit ici entrant dans l’ancienne gare de Zurich – recevra plus tard le surnom de « Train des petits pains espagnols », en raison d’une spécialité des boulangers de Baden qui peut désormais être livrée très rapidement à Zurich.

La construction des chemins de fer est avec la stabilisation politique un facteur important de la croissance économique des années 1850, laquelle accroîtra les recettes de la Confédération.

L’École polytechnique de Zurich

L’École polytechnique fédérale

La création de l’État fédéral moderne de 1848 redonne de l’actualité aux anciennes idées sur la formation supérieure des Confédérés. Il s’agirait d’instituer enfin, en plus des universités cantonales, un établissement national de formation. De vives controverses se manifestent toutefois sur l’orientation d’une telle institution. Des craintes sont exprimées, notamment de la part des universités existantes. Le projet ne peut remporter l’adhésion d’une majorité qu’en se limitant à l’enseignement des sciences techniques et des sciences naturelles. Ce n’est pas un hasard, tant les progrès de l’industrialisation ont créé des besoins de formation dans ces domaines. Ainsi est fondée en 1854 l’École polytechnique fédérale de Zurich, en vertu d’une loi fédérale. Dix ans plus tard, elle est installée dans son bâtiment principal, œuvre de l’architecte Gottfried Semper.

La Confédération a le droit d'établir une Université suisse et une Ecole polytechnique.

Constitution fédérale (1848), art. 22

La reprise du château de Neuchâtel le 4. séptembre 1856

L’unité territoriale

En 1856, l’affaire dite de Neuchâtel entraîne la jeune Suisse dans un dangereux conflit avec la Prusse. C’est que la question de la souveraineté sur le canton de Neuchâtel n’a pas été réglée sans équivoque, même après la création de l’État fédéral. Depuis le Congrès de Vienne en 1815, la principauté de Neuchâtel est en effet membre de la Confédération tout en restant possession du roi de Prusse. Même après que les républicains neuchâtelois, en 1848, ont renversé le gouvernement royaliste et proclamé la république, Frédéric-Guillaume IV ne renonce pas à ses prétentions.

Les 2 et 3 septembre 1856, les royalistes s’emparent du château de Neuchâtel. Mais les républicains, avec l’appui de troupes confédérées, le leur reprennent et font 530 prisonniers. Les négociateurs fédéraux exigent que la Prusse renonce définitivement à ses droits sur Neuchâtel, offrant en échange la libération des prisonniers. Le roi refuse. Malgré des tentatives de conciliation de diverses puissances européennes, il rompt les relations diplomatiques avec la Suisse et ordonne la mobilisation de son armée pour le 1er janvier 1857.

Guillaume Henri Dufour, demi-profil vers la gauche

La Suisse en guerre ?

Le 27 décembre 1856, en réaction aux événements de Neuchâtel et à la menace de déclenchement d’une guerre par la Prusse, le gouvernement confie une nouvelle fois au Genevois Guillaume Henri Dufour le commandement en chef des troupes fédérales. Pour la défense de la frontière, 30 000 soldats sont postés au bord du Rhin. Dufour, qui a déjà commandé les troupes fédérales lors de la guerre du Sonderbund en 1847, a misé alors sur la prudence dans la conduite de la guerre et sur l’habileté diplomatique afin de ne pas aggraver les dissensions entre les parties en guerre. Mais à la fin de l’année 1856, les conditions ont changé : la cohésion nationale naguère fragilisée par la guerre du Sonderbund est maintenant renforcée par la menace extérieure.

C’est finalement l’entremise de Napoléon III, par ailleurs ami de Dufour, qui permet d’éviter la guerre. Après que l’empereur des Français a obtenu du Conseil fédéral que les royalistes prisonniers soient libérés puis expulsés du territoire suisse, le roi de Prusse annule la mobilisation.

La Confédération a seule le droit de déclarer la guerre et de conclure la paix […].

Constitution fédérale (1848), art. 8

Représentation de l'Helvetia en guerrière défendant la liberté de la patrie avec son épée et le drapeau suisse

Helvetia militaris

Maintes productions graphiques de l’année 1856 expriment la volonté du jeune État fédéral de se défendre contre la Prusse. Sur cette lithographie, le peintre d’histoire Jean-Léonard Lugardon convoque la figure personnifiant la Suisse pour en donner une version particulière : Helvetia militaris.

Brandissant l’épée et le drapeau suisse, elle défend avec ses soldats la liberté de la patrie. Sur le rocher où elle se tient sont inscrits les noms des grandes batailles que les Confédérés ont menées – et pour la plupart remportées – contre leurs puissants voisins (p. ex. Morgarten, Rothenturm, Laupen). Ces noms évoquent la fierté du pays et sa confiance dans sa capacité de défense. La gravure s’inspire manifestement du tableau « La Liberté guidant le peuple» (1830), du peintre français Eugène Delacroix.

Nous voulons nous unir, nous voulons tous mourir, pour te servir. Ô notre mère ! De nous sois fière, sous ta bannière, tous vont partir. 

Vue à vol d’oiseau de la ville de Berne avec la première gare

Berne capitale fédérale

La Constitution fédérale de 1848 ne précise pas où doit se trouver le siège du gouvernement du nouvel État. La question a été délibérément laissée de côté et transmise à l’Assemblée nouvellement élue. Celle-ci, le 28 novembre 1848, choisit Berne pour siège du gouvernement et du Parlement.

Cette vue panoramique, dessinée en 1858 par Charles Fichot, donne une très bonne idée de la ville de Berne à cette époque. À l’angle inférieur droit, l’Hôtel du gouvernement fédéral (actuel Palais fédéral Ouest) existe déjà, ainsi que le Bernerhof.

Désignation du chef-lieu fédéral. A teneur des dispositions qui précédent relativement aux prestations du siège des autorités fédérales et au mode à suivre pour le désigner, les deux Conseils se sont réunis le 28 novembre 1848 à l'effet de procéder aux opérations sur cet objet, et dans un scrutin public par appel nominal des membres du Conseil national et du Conseil des Etats, la ville de Berne a été désignée pour le siège des autorités fédérales. 

Feuille fédérale (14.03.1849), p. 141.

Caricature sur le choix du siège des autorités fédérales

La question de la capitale

Le débat sur le choix du siège des autorités fédérales est resté dans l’histoire sous le nom de « question de la capitale ». L’article 108 de la Constitution fédérale charge l’Assemblée de faire le choix. Cette caricature illustre la rivalité entre les villes candidates, Lucerne, Zurich et Berne. Il y a aussi une concurrente marginale : comme il n’était pas certain au début que seul un chef-lieu de canton pouvait prétendre au rang de capitale fédérale, la petite ville de Zofingue est aussi entrée en lice.

Lors du choix, fixé au 28 novembre 1848, Lucerne, représentée ici par trois tours de l’enceinte (la Musegg), est éliminée en raison de son rôle dans la guerre du Sonderbund. Zofingue, figurée par un chasseur argovien chevauchant narquoisement l’animal héraldique de Berne, n’aura aucune chance. Au centre de l’image, l’ours bernois, qui sortira finalement vainqueur, ahane sous le fardeau du siège des autorités fédérales qu’il ravit à Lucerne. Â côté d’un diable aux pieds fourchus qui s’efforce de renverser la tour Saint-Christophe de Berne, le lion armé d’une lance à la bannière de Zurich se pose en rival agressif, mais il devra lui aussi s’incliner.

Tout ce qui concerne le siège des autorités de la Confédération est l’objet de la législation fédérale. 

Constitution fédérale (1848), art. 108

Projet non réalisé pour l’« Hôtel du gouvernement fédéral

Les premiers bâtiments du Palais fédéral

Dans les premiers temps, le Conseil fédéral et l’Assemblée ne disposent pas de locaux à eux. Ils se réunissent dans divers bâtiments de la ville de Berne : le Conseil national dans l’Ancien Casino et à l’Hôtel du gouvernement, le Conseil des États dans l’hôtel de ville « Zum Äusseren Stand » à la Zeughausgasse, et le Conseil fédéral à l’Erlacherhof à la Junkergasse. Un concours d’architecture est organisé en 1850 pour un « Hôtel du gouvernement fédéral ». Le projet illustré ici, d’un certain Meyer, n’a pas été retenu.

Le Palais fédéral à Berne, vu depuis le sud-ouest

L’Hôtel du gouvernement fédéral I

L’Hôtel du gouvernement fédéral est construit de 1852 à 1857 dans le style néo-Renaissance, selon les plans de l’architecte bernois Jakob Friedrich Studer. Sur la vue de l’époque, prise depuis le sud-ouest, le bâtiment s’étale majestueusement, avec la collégiale à l’arrière-plan.

Ce bâtiment, appelé aujourd’hui Palais fédéral Ouest, abrite depuis toujours la salle de séance du Conseil fédéral. Y sont également installés les départements des affaires étrangères et de justice et police, ainsi que la Chancellerie fédérale et la bibliothèque du Parlement.

L’Hôtel du gouvernement fédéral, façade nord

Le Palais fédéral II

Vers le nord, côté ville, le Palais fédéral présente un corps principal et deux ailes latérales. Cette lithographie à la craie – éditée par Carl Durheim comme l’image précédente – montre les alentours aménagés en parc, avec de l’espace pour flâner.

Les autres bâtiments sont plus tardifs. Le Palais fédéral Est, construit à l’emplacement de l’ancien hôpital de l’Île, a été inauguré en 1892, tandis que le bâtiment du Parlement, au centre, avec son imposante coupole, a été achevé en 1902.

Bernerhof et le Palais fédéral depuis la Kleine Schanze

Le siège des autorités fédérales à l’hôtel

Le Bernerhof forme aujourd’hui l’extrémité occidentale des bâtiments du Palais fédéral qui s’alignent le long de la Bundesgasse. Il a été construit de 1856 à 1858 comme hôtel de luxe. L’entreprise ayant cessé d’être rentable après la Première Guerre mondiale, le bâtiment a été vendu en 1923 à la Confédération. Le Département des finances y est installé depuis 1924.

Sur ce dessin de Johann R. Dikenmann, du XIXe siècle, on reconnaît de gauche à droite le Bernerhof, le premier Hôtel du gouvernement fédéral, l’Ancien Casino, l’ancien hôpital de l’Île et à l’arrière-plan la tour de la collégiale.

Feuille commémorant la révision de la Constitution fédérale en 1874

La révision complète de la Constitution fédérale

Liberté d’établissement, liberté de croyance et de conscience, enseignement public obligatoire et gratuit sous la responsabilité de l’État : toutes ces choses qui nous paraissent aujourd’hui aller de soi n’ont été inscrites dans la Constitution fédérale que lors de sa révision complète en 1874. Une révision partielle avait déjà été effectuée, et deux ans auparavant, une première tentative de révision complète avait échoué. Le nouveau projet, accepté par la majorité des citoyens, ouvre la voie à une démocratie semi-directe.

Imprimée et éditée à Zurich, cette feuille commémorative mentionne non seulement les plus importantes innovations apportées par la révision, mais aussi les résultats précis des votations par canton. Cette chromolithographie d’Ernst Conrad nous rappelle aujourd’hui que même la loi fondamentale peut être modifiée et que c’est à nous qu’incombe la responsabilité de façonner l’avenir de notre collectivité.

Un pour tous, tous pour un. 

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