Les fêtes chrétiennes marquent les étapes de l’enfance et son terme
Plus ils approchaient de l’église, plus nombreux étaient les gens qu’ils rencontraient et qui se joignaient à eux ; […] et tous, comme une grande procession, entrèrent au village.
Jeremias Gotthelf (1901), Laraignée noire, p. 18-19.
La gravure « Die Kinds-tauffe im Canton Bern » de Franz Niklaus König représente des adultes et des enfants en tenue de fête se rendant à un baptême. Dans la tradition chrétienne, le baptême marque l’entrée de l’enfant dans la communauté religieuse. La célébration suivante dans la vie religieuse est la confirmation. Elle sépare l’enfance, caractérisée par une relation de dépendance, de la vie adulte. Ces « rites de passage » sont célébrés solennellement par toute la communauté.
Au service de toute la famille
A l’époque, la mère était généralement pour l’enfant la personne de référence principale. Comme on peut l’observer sur l’aquarelle de Franz Niklaus König, au 19e siècle, elle devait relever un triple défi. En principe, à la campagne, la maternité impliquait pour la femme de s’occuper de la maison et du jardin, des enfants et de la génération plus âgée, représentée ici à la fenêtre.
Les enfants bien joyeux répétent vîte, & comme il faut, ce qu’ils avoient appris pendant la semaine. Cela fait, la mere leur donna leur morceau de pain & deux écuellées de lait, qu’elle n’avoit bien écrêmé, parce que c’étoit Dimanche.
Johann Heinrich Pestalozzi (1783), Léonard et Gertrude, p. 258-259.
« Le bon père »
Une eau-forte au trait aquarellée de Sigmund Freudenberger représente une famille impatiente de voir le père rentrer à la maison. Accueilli avec curiosité par ses enfants, il n’a d’yeux que pour leur mère. Freudenberger représente le père comme le nourricier de la famille, qui revient chaque soir du travail avec sa faux et les fruits qu’il a cueillis. A l’époque, un homme travailleur était souvent considéré comme un « bon père », ce malgré le fait que, très occupé par son travail hors du domicile familial, il passait peu de temps avec ses enfants.
L'enfance dans les familles bourgeoises
La condition des enfants des paysans contraste avec celle des fils et des filles des familles bourgeoises citadines, illustrée dans cette eau-forte au trait aquarellée de Daniel David Burgdorfer. Les enfants issus d’une famille bourgeoise recevaient une éducation conforme à leur classe sociale. Contrairement aux enfants des paysans, des artisans et des ouvriers, ils ne devaient pas encore contribuer à la subsistance de leur famille. La surveillance et l’éducation des enfants était en partie assurée par des bonnes d’enfants. Le petit garçon coquettement vêtu que la « Fille d’Enfans » tient par la main sur la gravure de Daniel David Burgdorfer fait partie de la bourgeoisie, comme l’indique aussi le petit cheval de bois qu’il tire derrière lui. A l’époque, c’était surtout les familles bourgeoises citadines qui pouvaient se permettre d’acheter des jouets.
Des adultes en miniature
A la différence de la gravure de Daniel David Burgdorfer, où une bonne d’enfants tient un jeune garçon par la main, ces deux portraits à l’huile représentent des enfants de la famille von Frisching comme s’il s’agissait d’adultes. Leur posture, leurs vêtements, leur perruque et l’expression de leur visage correspondent à des portraits d’adultes contemporains. Seul leur visage ostensiblement rond évoque leur jeune âge. Ce n’est qu’à la fin du 18e siècle que l’on commence à abandonner la tradition picturale des «adultes en miniature », quand de nouvelles théories pédagogiques comme celles de Jean-Jacques Rousseau et de Johann Heinrich Pestalozzi contribuent à une représentation plus réaliste des enfants.
Divertissements pour petits et grands
Lors des foires et des fêtes, les « petits adultes » et les « grands enfants » pouvaient assister à des spectacles extrêmement divertissants. Les représentations théâtrales comptaient parmi les plus prisés d’entre eux, comme le montre une aquarelle de Gottfried Mind du début du 19e siècle. Les théâtres de marionnettes rudimentaires qui animaient les ruelles de Berne attiraient enfants et adultes en nombre. Le public, hétérogène, réunissait enfants, dames en habits bourgeois et soldats en uniforme de parade. Les spectacles de marionnettes tels que celui représenté ici n’étaient pas exclusivement destinés au divertissement :
Or, il est possible [...] d’organiser toutes sortes d'événements pour rassasier la jeunesse en fête […] et de créer pour les enfants des spectacles de marionnettes bien conçus et bien menés, qui n’aient rien de loufoque ou même d’immoral, mais qui soient au contraire divertissants et instructifs et qui éveillent les bonnes pensées [....].
Johann Jakob Sprüngli (1838), Die Jugendfeste [Les fêtes de jeunesse], p. 56-57.
Jeux d’enfants
Dans ses scènes de jeu, Gottfried Mind représente les enfants de manière particulièrement vivante. Les enfants et leurs activités sont souvent au centre de ses créations. Dans deux de ses aquarelles, l’artiste a dessiné une bande d’enfants en train de jouer. A l’abri du regard des adultes, un groupe d’enfants se défoule en jouant au chat et à la souris, tandis que l’autre groupe joue à la toupie. La toupie à ficelle était un jeu de rue typique des 18e et 19e siècles, qui se jouait aussi bien en solitaire qu’en groupe. Il s’agissait de faire tourner la toupie en tirant rapidement sur la corde, puis de lui donner des coups de fouet précis pour la maintenir en mouvement. L’enfant qui arrivait à faire tourner la toupie le plus longtemps gagnait le jeu.
Le cheval à bascule
La fillette représentée par Franz Niklaus König se balance frénétiquement sur son cheval à bascule. Le cheval à bascule est devenu un symbole de la toute jeune industrie du jouet. Le développement de cette industrie née au 19e siècle a été favorisé par de nouvelles théories pédagogiques prônant une plus grande acceptation du jeu. C’est également à cette période qu’est apparue la culture des cadeaux lors de fêtes comme Noël. Avant, les jouets étaient en général fabriqués au sein de la famille. Les producteurs de jouets à domicile, qui ont gagné en importance au 19e siècle, ont développé leurs activités principalement dans les pays limitrophes de la Suisse.
Nous allons au marché de Noël, comme l’année dernière, n’est-ce pas, maman ? demanda la petite Elsa [...]. Oui, mon cœur ! Qu’est-ce que vous voulez y acheter ? Un grand cheval à bascule, s’exclama Léopold, ses yeux noirs brillant de plaisir.
Amanda M. Blankenstein (1878-1880), Freud’ und Leid im Kinderleben[Les joies et les peines de l’enfance], p. 24.
« Le jeune mendiant »
Les enfants ne pouvaient pas tous jouer insouciamment. La gravure de Franz Niklaus König montre un jeune mendiant qui marche seul, pieds nus et en guenilles. Au 19e siècle déjà, diverses mesures ont été prises pour lutter contre la pauvreté et la paupérisation des enfants. Le plus souvent, les orphelins, semi-orphelins et enfants de familles brisées étaient placés. Lors du « louage de travail », les familles d’accueil recevaient des indemnités de la part des autorités. En outre, les enfants devaient mettre leur force de travail à disposition. Dans certains endroits, cependant, se trouvaient aussi des orphelinats qui, sous l'influence des principes éducatifs de Johann Heinrich Pestalozzi, sont devenus des institutions éducatives.
J’ai vécu des années durant au milieu de plus de cinquante jeunes mendiants ; j’ai partagé avec eux mon pain dans la pauvreté ; j’ai vécu moi-même comme un mendiant pour apprendre à faire vivre les mendiants comme des hommes.
Johann Heinrich Pestalozzi (1985), Comment Gertrude instruit ses enfants, p. 46.
Pionniers de la pédagogie
L'institut de Johann Heinrich Pestalozzi à Yverdon et l'établissement éducatif Hofwil de Philipp Emanuel von Fellenberg étaient parmi les projets éducatifs pionniers les plus connus. Avec de telles institutions, des éducateurs engagés essayaient de pallier la pénurie aiguë de maisons de pauvres et d'écoles élémentaires. Des institutions telles que Hofwil ont également servi au développement continu de nouvelles idées pour la lutte contre la pauvreté et pour l'éducation élémentaire. Fellenberg voyait dans Hofwil, qui comprenait entre autres un « établissement éducatif pour les pauvres » et une « école de filles », un modèle pour un système d'écoles primaires à l'échelle nationale. La lithographie de 1843 donne un aperçu des activités menées durant les pauses au « Grosses Institut » de Hofwil. Les enfants grimpent, font de la gymnastique et jouent au ballon, sous l’œil attentif des surveillants à cheval.
Rousseau enseignant
Comme, jusqu’au 19e siècle, le système scolaire n'était que faiblement développé, seuls les enfants de familles aisées recevaient un enseignement tout au long de l’année, le plus souvent par des enseignants privés. Bien avant d'écrire son œuvre pédagogique Émile, Jean-Jacques Rousseau a également travaillé comme tuteur. La gravure des années 1780 montre la maison du Val-de-Travers où Rousseau a vécu quelques temps. Au premier plan, il est fait référence à un passage de Émile où Rousseau, assis sur un banc, encourage un élève paresseux à participer à une course :
Le gâteau fut posé sur une grande pierre qui servit de but. La carriere fut marquée […] au signal donné, les petits garçons partirent : le victorieux se saisit du gâteau, & le mangea sans miséricorde aux yeux des spectateurs & du vaincu. […] Ennuyé de voir toujours manger sous ses yeux des gâteaux […] Monsieur le Chevalier s’avisa de soupçonner enfin que bien courir pouvoit être bon à quelque chose, & voyant qu’il avoit aussi deux jambes il commença à s’essayer en secret.
Jean-Jacques Rousseau (1762), Émile I, p. 383-385.
Apprendre par le vécu
Dans son aquarelle La crainte enfantine, Sigmund Freudenberger représente un garçon qui, effrayé par un chien qui aboie, cherche refuge dans les bras de sa mère. Afin d’éviter de telles rencontres effrayantes à l’avenir, le garçon apprend de son expérience et change son comportement. Selon Rousseau, l’accumulation indépendante d’expérience est l’une des trois sources importantes d’apprentissage qui permettent aux enfants d’acquérir des connaissances et des compétences :
[…] éducation nous vient de la nature, ou des hommes, ou des choses. Le développement interne de nos facultés & de nos organes est l’éducation de la nature : l’usage qu’on nous apprend à faire de ce développement est l’éducation des hommes ; & l’acquis de notre propre expérience sur les objets qui nous affectent, est l’éducation des choses. Chacun de nous est donc formé par trois sortes de Maîtres.
Jean-Jacques Rousseau (1762), Émile I, p. 5.
En cours
L’obligation d’enseigner seul et sans aucune aide m’apprit l’art d’instruire un grand nombre d’enfants ensemble […].
Johann Heinrich Pestalozzi (1985), Comment Gertrude instruit ses enfants, p. 52.
Cinq enfants d’âges différents participent attentivement au cours de musique. Au 19e siècle, il était courant de mélanger les âges dans les classes d’école. Les normes actuelles (de petites classes d’enfants du même âge ou presque) ont mis du temps avant de s’imposer. Jusqu’à l’entrée de l’école primaire dans la Constitution fédérale de 1848, d’importants principes ont été mis en place. En 1828, par exemple, le Valais a instauré une scolarité obligatoire annuelle de cinq mois pour les enfants de 7 à 14 ans. Les conditions et la durée de la scolarité obligatoire variaient d’un canton à l’autre, mais les différences n’étaient pas uniquement cantonales. Les zones rurales se distinguaient des zones urbaines par une fréquentation scolaire plus courte.
A l’alpage avec Heidi
Comme ce n’était pas encore l’époque du pâturage, Pierre allait toujours à l’école à Dörfli […].
Johanna Spyry (1912), Heidi, p. 95-96.
En milieu rural, les vacances scolaires n'étaient pas des moments de loisir comme aujourd'hui. Les enfants constituaient une importante partie de la communauté de travail familiale. Au printemps, par exemple, ils étaient responsables de la remise en état des champs. Pendant les semaines les plus chaudes de l’été, durant lesquelles il n'y avait pas de cours, ils prenaient souvent la relève des bergers, comme le montre Heinrich Füssli avec un garçon menant des chèvres sur le Rigi. La traite, l’élevage et la fabrication de fromage à l’alpage étaient leur routine quotidienne, par tous les temps.
Les enfants et le travail
Franz Niklaus König montre sa propre famille avec Der Abend-Sitz. Les filles tissent à la lueur d’une chandelle. La production textile était une branche centrale de l'économie, en particulier dans le canton de Zurich et en Suisse orientale. Le travail à domicile était principalement effectué par des femmes et par des enfants. Avec le début de l’industrialisation, ce modèle de travail a été progressivement remplacé par la production en usine. L’exploitation des enfants comme main-d'œuvre bon marché a atteint un niveau alarmant. Afin de travailler jusqu’à 16 heures par jour, les enfants étaient tenus éloignés de l’école. Les autorités ont alors tenté de lutter contre cette situation sociale précaire. A partir de 1815, par exemple, le travail en usine avant l’âge de neuf ans a été interdit dans le canton de Zurich. Le temps de travail journalier a également été réglementé.
Les enfants ne doivent pas être occupés plus de douze à quatorze heures par jour […]
Canton de Zurich (1815), Verordnung wegen der minderjährigen Jugend in Fabriken (Ordonnance sur le travail des mineurs en usine), p. 171.
Devenir adulte
Au 19e siècle, outre le jeu, le travail et l’apprentissage, le passage vers un autre âge de la vie faisait aussi partie de l'enfance. Franz Niklaus König illustre ce passage à la vie adulte avec une aquatinte aquarellée : lors du « Kiltgang », pratique largement répandue dans les campagnes, les jeunes hommes se disputaient les jeunes femmes. Au petit matin, ils étaient sortis de l’enfance et se retrouvaient au seuil d’une nouvelle étape de leur vie.